Maria S.
Je veux vous parler de ma grand mère chérie.
Elle et son mari avait une boulangerie dans la Gruyère, au bord de la Sarine. Lui au fournil et elle au ménage, à la caisse, aux enfants et surtout aux comptes de fin de mois. Les clients payaient "au carnet". A chaque fin de mois elle calculait, de tête, les montants dûs. Et comme elle était gentille et bienveillante les sommes n'étaient pas toujours encaissées.
Elle m'a toujours accueillie à bras ouverts. Mon enfance solitaire l'émouvait. Quel plaisir de grimper ces quelques marches et de sentir son parfum et sa douceur. Comme elle était asthmatique elle suçait toujours des bonbons à l'eucalyptus. C'est une des premières odeurs de mon enfance avec celle du pain, des pains d'anis et des bricelets.
Quand je suis devenue jeune maman elle venait en vacances chez moi, quand Chéri était au service militaire. Elle m'a appris à tenir une maison, elle faisait mes raccommodages. Quelquefois elle me morigénait de mon désordre. D'elle j'acceptais tout.
Nous avons eu de grandes conversations qu'elle n'avait pas eu avec ses enfants. Son enfance illégitime et son père qui l'avait accostée sur le chemin. C'est de lui qu'on tient nos cheveux roux m'avait-elle dit. Et sa première culbute (c'était son terme) à 17 ans derrière la fontaine du village.
Plus tard elle est devenue veuve. Elle a dû soigner mon grand père très longtemps. Mais elle s'ennuyait dans sa grande maison sans confort. Puis un jour elle a pris un petit studio dans la ville voisine. Elle prenait jusqu'à trois douches par jour tant elle était contente. Elle goûtait sa nouvelle indépendance. Elle allait au restaurant, s'achetait des babioles, dînait à n'importe quelle heure. Elle avait enfin des amies et non plus des clientes. Sa fantaisie lui valait d'avoir des amis de tout âge.
Elle s'est éteinte à 88 ans d'un cancer du sein. Je me suis sentie orpheline et aujourd'hui trente ans après elle me manque.